D'abord Ils ont brûlé les livres... Ensuite pour plus de sûreté, ils ont préféré brûler les lecteurs, et ceux qui apprenaient à lire, et ceux qui n'étaient pas encore en âge. Ils ont brûle aussi les auteurs, et ceux qui apprenaient à écrire, et ceux qui n'étalent pas encore en Age d'apprendre. Et leurs récits, leurs contes, leurs poèmes, brûles aussi, avec eux, à Jamais réduits en cendres, d'avance ... Ils ont brûlé avec, ceux qui parlaient simplement la langue, et ceux qui apprenaient à la parler avec difficulté, et ceux qui n'étalent plus en âge d'apprendre ... ceux qui la parlaient si mal qu'on ne pouvait que rire en les entendant, les bègues, les bredouilleurs, les chuintants, ceux qui parlaient plus avec leurs. mains qu'avec leur bouche, ceux qui la ricanaient et ceux qui la chantaient. Ils ont brûlé. les berceuses, les mères, les enfants avec leurs poupées et leurs père muets. Ceux qui ne savaient que crier et ceux qui n'étaient pas en âge. Mais parmi ceux-là -rien n'est par-fait en ce monde, même en ce siècle de haute technologie certains ont survécu, d'abord frappés de stupeur de peur aussi, de honte peut-être, lis se sont dit, la langue est morte. Alors Ils ont évité les armoires où les livres survivants, serrés, tassés, écrasés les uns contre les autres, étouffaient. Livres bizarres qu'il faut ouvrir à l'envers et lire de travers, livres pleins de poussière, de mystère et de récits de peur et de misère, livres pleins aussi de joies, de cris, de vies, livres qui espéraient des mains et des yeux ... Alors certains se sont mis à les feuilleter, histoire de leur faire prendre l'air, d'autres comme Serge LASK, ont recopié bribes à bribes, serrés, massés les uns contre les autres, écrasés à jamais, les mots, les noms de ceux qui parlaient écrivaient et lisaient afin qu'entre la destruction et l’oubli, quelques caractères se dressent, comme ça, pour la beauté du geste... Jean-Claude GRUMBERG Serge Lask Le tonitruant silence du deuil Nous nous connaissions, Serge Lask et moi, bien avant qu'il ne pense à peindre, bien avant que je ne songe à écrire. Déjà il était silencieux, et déjà je souffrais d'une forme grave d'incontinence verbale. Sa présence à la limite de l'absence contrastait avec nos attitudes de tribuns de café et de refaiseurs de monde cassé. Jamais en ces années-là, nous n'avons parlé lui de sa mère, moi de mon père. Leur disparition sans doute colorait chaque instant de nos vies, mais comme à notre insu. Je pense que la disparition de sa mère a rendu Serge muet, alors que la disparition de mon père a ouvert les vannes à un trop-plein de paroles. C 'est donc dans le silence et par le silence que peu à peu Serge a dû pénétrer son deuil. Par le silence et par la douleur, toutes sortes de douleurs, celle en plus si particulière de celui qui, se déclarant un jour artiste aux yeux du monde, doit braver le regard du monde en commençant par celui de ses proches. Peu à peu la maîtrise est venue, les œuvres se sont accumulées sans jamais adhérer à la moindre école, sans jamais affecter la moindre pose, comme s'il n'avait jamais quitté sa machine à coudre, Serge est devenu Lask, peintre de son métier. Son silence a explosé en des centaines d' œuvres, sa douleur est devenue visible et après toute une vie d'artiste -ah! la vie d'artiste... Serge l'a bien connue ! -la reconnaissance est venue, à l'âge de la retraite, qu'importe... Oui, il est bon pour certains et pour moi de penser qu'enfin Serge Lask a vaincu aujourd'hui deux fois le silence. Son silence et celui des autres. Il est bon de voir aujourd'hui le fruit de son art et de sa douleur indissolublement accrochés dans des galeries, des musées. Bien avant que ne naisse dans nos gazettes le « devoir de mémoire», Serge s'efforçait avec les moyens du bord de refabriquer du vivant afin de ne pas laisser se perdre totalement ceux qui ne sont plus, ce qui n'est plus. Aujourd'hui il est là, au centre de ces accrochages, aussi silencieux, aussi distrait et absent au monde, comme si tout ce qui comptait pour lui était accroché là sur ces murs, rappelant ainsi dans ces temps ole tapage fait loi que la grande voix du silence peut, elle aussi, devenir tonitruante. Jean-Claude GruMberg Mai 1999